« Dans la ville »: Chienne de vie

Un vœu sur les chiens, ça me faisait doucement rigoler. Moins, maintenant : je suis un peu moins bête.

Mercredi 6 décembre,

Longue et dense journée. Il est tard et j’ai des invités et un repas à préparer. Vite, les courses. Vite, rentrer. Le temps est compté. Compte à rebours.

J’attache mon vélo au parking de ce supermarché de la Côte Pavée. Ils ferment tard et c’est assez grand. Pratique. Cher aussi. On se préoccupera plus tard de ce que cela veut dire, des conditions de travail des caissiers, des préparateurs de commande qui s’affairent dans les rayons, s’échinant à courir pour gagner quelques sous en échange d’un “délivre moi ma commande”. Transaction dissymétrique, déshumanisée et déshumanisante. Les temps changent et j’ai l’impression parfois comme d’une extension du gris. Je suis peu empressé de m’y engouffrer.

Cette longue journée avait aussi été pleine, belle, “utile” – me laissant bouffi de contentement. C. est là. Frigorifié. Recroquevillé sur les marches du hall d’immeuble avec sa chienne. L’air est humide. Il fait froid. Il m’adresse doucement : “Allez-y, je surveille votre vélo”.

Je me rapproche. Nous papotons, nous saluons, nous nommons. “De quoi avez-vous besoin, C.” ? Pour lui, ce sera un camembert – son fromage préféré – et pour sa chienne, ce pâté de la marque distributeur de la chaîne. Le moins cher, il y tient : ne pas incommoder.

Les courses comme une plongée en apnée. Marcher dans les rayons bousculé par ces auto-entrepreneurs renfrognés qui se hâtent de constituer les commandes à délivrer. Leur balai-bousculade me divise entre compréhension et malaisance. Mais, qu’est-ce que je fais dans ce lieu ! Je me hâte à mon tour. En sortir au plus vite, c’est trop ! Trop triste, trop pressant, trop cher.

Retour au vélo. Tout à mon contentement d’avoir quelque chose à leur donner.

C. me dit la place que sa chienne occupe : “C’est ma famille”. Un choix. Coûteux. Qui se paye au prix fort : marcher, dormir dehors. “Les sans domiciles fixes déjà,  bon… mais, avec des chiens, non !” Un choix à dormir dehors quand C. met trop de temps pour rentrer aux Pradettes où il est accueilli. Côte pavée – Pradettes : des heures de marche puisque les chiens ne sont pas acceptés dans les transports en commun. Il essaye quand il en a l’audace, y parvient parfois. Au risque du rejet. Un de plus.
Je lui indique que l’accueil des chiens sur le réseau Tisséo sera porté ce jeudi 7 décembre au conseil métropolitain. Surpris, il se redresse, souligne l’importance et la nécessité d’une telle mesure. C. démonte d’avance l’argument des propriétaires de chiens peu scrupuleux : leur rapport au chien n’est que la projection de leur rapport aux autres. Lui est attentionné. Il argumente : il faut savoir s’occuper de son chien. Il n’a pas dressé le sien à le défendre. Il me raconte leur rencontre : un collègue à la rue voulait lui vendre un chiot mais comme il n’en avait pas les moyens il avait proposé de venir tous les jours amener des croquettes à la mère jusqu’à la naissance. Tous les jours, gagner un peu plus d’argent pour les croquettes ou renoncer à manger. Promesses tenues. Depuis, ils sont inséparables. Elle est “sa famille”. Tout juste espère-t-il qu’elle pourrait le secourir s’il était agressé.

Je le quitte. Lui, plus ouvert, plus droit, expressif.

Ce jour, un vœu portant sur les chiens, auquel je n’attachais que peu d’importance – au regard des nobles enjeux traités par cette assemblée du conseil métropolitain ; un vœu dis-je m’a rendu moins bête. Il a surtout illuminé le visage d’un homme transi.


“Le goût de la politique” , qu’ils disent !

Vendredi 8 décembre,
Le vœu a été saccagé d’une réécriture fielleuse et sans imagination par la majorité : manipuler les faits, se pousser du col, saupoudrer de moraline. Et de plus, il n’a même pas été présenté, même pas été débattu.  Il faudrait le mettre à jour… mais quelle fatigue !

Je repasse devant ce supermarché; ils n’y sont pas mais nous nous y reverrons. Que dire alors ? Dire le dégoût d’une politique qui n’est que du semblant et qui, de nuance de gris en nuance de gris, nous entraîne vers des jours plus sombres ?

Mais les circonstance obligent : relever la tête et regarder un peu plus loin devant, se laisser griser par le vélo qui glisse dans la pente, le corps en alerte. Se reconnecter. Renouer avec l’espoir et en cultiver le goût.