Retrouvez l'avis issu des travaux de la Convention Citoyenne et soumis officiellement dans le cadre de l'enquête publique portant sur la Jonction Est (ouverte sur ce site jusqu'au 07.01.2025).
Depuis plus d’une décennie, le projet de la Jonction-Est suscite des interrogations et des objections légitimes de la part des riverains (associations de quartier), d’organisations et de militants écologistes.
Malgré une mobilisation constante, les interpellations répétées des éluEs et des actions militantes, ces voix peinent à se faire entendre. Le projet semble avancer inexorablement, comme si aucune objection ne pouvait stopper la construction d’une infrastructure dépassée, pensée dans les années 1980, et qui viendrait défigurer deux parcs naturels. Pourtant, cette infrastructure apparaît aujourd’hui inutile.
Dans une démocratie, les objections doivent pouvoir être écoutées. En théorie, c’est le cas : les éluEs débattent et votent au Conseil de la Métropole. Mais être écouté, voire compris, ne suffit pas. Nous sommes encore loin d’un véritable processus de co-construction. À Toulouse, il est évident que cette démarche est à peine embryonnaire. Le malaise démocratique toulousain a un nom : le pacte majoritaire. Et il a un style : autoritaire.
Lors de la concertation sur le projet, plus de 94 % des contributions étaient défavorables mais celui-ci a été validé par 90% des éluEs de Toulouse Métropole. Les avis exprimés lors de la concertation n’ont pas été débattus et la démocratie représentative et la démocratie participative sont donc mises en échec.
Quant à la démocratie participative, elle est ouvertement méprisée par le groupe majoritaire : les citoyens sont consultés pour la forme, mais leur parole n’est pas prise en compte. À Toulouse, le processus participatif est non seulement contestable dans sa méthode, mais également vidé de son sens, comme le montrent plusieurs de nos articles disponibles sur notre site.
Face à ce constat, que faire pour se faire entendre après la lutte contre l’autoroute A69 ? Participation, lobbying, désobéissance civile, grève de la faim ou de la soif, commission d’enquête judiciaire, recours juridiques, référés : quelles actions pourraient réellement avoir un impact ?
Nous avons donc lancé une Convention Citoyenne pour aborder le problème plus largement afin de réfléchir aux besoins de mobilité dans le Sud-Est toulousain, plutôt que de se focaliser sur une nouvelle infrastructure.
En effet, le choix a été porté d’interroger les mobilités dans leurs globalités car le nombre d’habitants et d’habitantes du Sud Est toulousain augmente considérablement depuis ces dernières années notamment avec la construction de nouveaux logements dans les quartiers Malepère et Montaudran. En l’état, cette augmentation va probablement exacerber les problèmes de mobilité déjà présents : embouteillages automobiles, transports en commun bondés.
Le projet de la Jonction Est, s’il perdure, aura un impact écologique considérable et nécessitera un lourd financement qui va nécessairement phagocyter les multiples autres solutions de mobilités qui auraient pu être envisagées et permettre notamment aux piétons et aux cyclistes de traverser la rocade sans risque.
L’initiative de Convention Citoyenne, portée par Archipel Citoyen, répond donc à une double urgence : sortir des clivages stériles et dépasser l’impasse démocratique, source de désillusion et de repli sur des postures identitaires délétères.
Les conventions citoyennes et la Convention Citoyenne sur les mobilités dans le Sud-Est Toulousain.
Les Conventions Citoyennes sont des modes d’organisation de la participation citoyenne qui sont matures. On en trouve notamment une description sur le site pour des conventions citoyennes. Dans le cas de la Convention Citoyenne sur les mobilités dans le Sud-Est Toulousain :
- Notre démarche est politique : redonner le pouvoir d’agir aux habitantEs.
- Notre démarche n’est pas politicienne : nous porterons dans notre programme les conclusions de l’assemblée citoyenne sans modification.
- Notre démarche est a-partisane : l’indépendance des travaux d’une assemblée citoyenne sont garantis par le processus (comme en atteste la Convention Citoyenne pour le Climat, les propositions formulées dépassant largement les attentes).
- Notre démarche est ouverte : tout au long du processus, nous avons sollicité et obtenu l’avis de membres d’associations et de collectifs concernés par le projet. Le processus fait l’objet d’un regard rigoureux et critique de la part de garantEs.
Les membres de l’assemblée citoyenne sont des habitantEs tiréEs au sort
Nous avons envisagé deux approches pour notre démarche :
- Tirage au sort à partir d’un fichier, en contrôlant plusieurs paramètres (sexe, âge, catégorie socio-professionnelle, commune, etc.).
- Tirage au sort géographique, sans recourir à un fichier.
La première méthode permettait un contrôle accru des critères. Cependant, nous avons opté pour la seconde, que nous estimions plus éthique, car elle évite l’achat d’un fichier sans consentement préalable des habitant·e·s, et plus exigeante en termes de ressources.
Pour mettre en œuvre cette méthode, nous avons défini des coordonnées géographiques centrées sur un point situé sur le périphérique, à proximité de la Cité de l’Espace, avec un rayon de 3 km. Un programme spécifique, que nous mettons à disposition, a été utilisé pour générer ces coordonnées. Ces points géographiques ont ensuite été convertis manuellement en adresses.
Pour chaque adresse, nous avons mené des actions de porte-à-porte en binôme. Au total, 20 coordonnées géographiques ont été générées, entraînant 20 sessions de porte-à-porte d’une durée de 1h30 chacune, soit 60 heures de travail (hors temps de déplacement).
Taille de l’assemblée citoyenne
Compte tenu du périmètre et des objectifs de la Convention Citoyenne, nous avons jugé pertinent de recruter une dizaine de participantEs vivant dans les quartiers allant du château de l’Hers jusqu’à Montaudran mais également à Balma et Quinte-Fonsegrives. Ce choix repose sur plusieurs critères :
- Le temps et les ressources disponibles, en lien avec la méthode de recrutement choisie
- La portée locale du projet et la spécificité de la question posée
- Un format resserré, limité à trois réunions sur un mois
- La recherche d’une diversité suffisante parmi les participant·e·s
Les garantEs et les expertEs
Afin d’assurer le respect du processus de la convention citoyenne, un garant a été présent à chaque rencontre au côté des femmes et hommes qui ont constitué la convention citoyenne. Il pouvait intervenir lors des réunions de l’assemblée sur le déroulement de celle-ci pour souligner un dysfonctionnement, formuler une réserve au regard de l’indépendance de l’assemblée citoyenne ou de ses besoins. Il ne faisait pas partie du cercle de l’assemblée et restait positionné en tant qu’observateur.
La personne sélectionnée ici connaît bien le processus de Convention Citoyenne car elle est membre d’un conseil qui œuvre pour le renouvellement démocratique par la mobilisation de la participation citoyenne.
Une vingtaine d’expertEs ont été mobilisés pour former les participantEs de la Convention Citoyenne sur des sujets divers tels que le climat, les différents types de mobilités déjà présentes et en projet dans le Sud-Est Toulousain, la biodiversité ou l’urbanisme.
Une distinction a été faite entre les différents profils d’expertises à apporter à l’assemblée de la Convention Citoyenne :
- Les “universitaires”: des professionnels qui étudient un domaine particulier (climat, mobilité, biodiversité, urbanisme, …).
- Les “acteurs sectoriels” : porteurs d’une connaissance sur un réseau ou une infrastructure qu’ils opèrent (Tisséo, Citiz, SNCF, …)
- Les “experts d’usage”: associations ou collectif représentant des usagers des transports (piétons, cyclistes, automobilistes, transports en commun)
- Les représentants des associations environnementales
- Les représentants des habitant.es (associations et comités de quartier) et des entreprises (associations de commerçants, d’entreprise, syndicat professionnel)
- Les collectifs ou associations développant une expertise citoyenne : expertise sur une thématique ou un domaine (“faiseurs de ville”, “non à la Jonction Est”)
- Les porteurs de projet (Toulouse Métropole, Vinci Autoroutes)
Le but de leurs propos n’était pas de convaincre mais de donner des éléments à l’assemblée citoyenne pour qu’elle puisse établir son propre jugement. Les expertEs se sont donc attachéEs à transmettre leur expertise et leur analyse des différents sujets évoqués.
Toulouse Métropole et Tisséo ont été conviés à participer à la convention en tant qu’expert pour fournir leurs analyses concernant les mobilités dans le Sud-Est toulousain mais n’ont pas répondu à notre sollicitation.
L’organisation de la Convention Citoyenne
Nous avons en amont sollicité un grand nombre d’associations et collectifs pour explorer le projet avec eux, évaluer sa faisabilité et les conditions de sa mise en oeuvre.
Nous avons également mis en place des rôles de “parrains” et “marraine” afin de renforcer l’inclusion afin que chacun puisse participer malgré une démarche complexe.
Nous avons également mené le projet afin qu’il puisse être repris par d’autres. L’ensemble de nos travaux et des interventions seront publiées sur un site dédié qui encourage à s’approprier, dupliquer, modifier ou transformer la démarche.
Trois réunions ont été organisées entre Novembre et Décembre 2024, une soirée et deux journée afin que les membres de la Convention Citoyenne puissent monter en compétences sur tous les aspects ayant attrait à la mobilité et ses impacts. Le but était qu’ils soient en mesure de remettre les conclusions de leurs réflexions dans le cadre de l’enquête publique lancée par Toulouse Métropole qui se termine le 07 janvier 2025.
La première session a été dédiée à la présentation de la démarche, à la création d’un climat de confiance entre les membres de l’assemblée ainsi qu’à donner les premiers éléments des différents modes de circulation présents et à développer dans le Sud-Est de Toulouse. Les sessions suivantes ont porté sur l’urbanisme, les fondamentaux de la transition écologique, les mobilités bas carbone, l’impact du transport routier sur la santé. Sur les deux dernières sessions des temps de travail ont également été consacrés à la production du rapport final.
L’assemblée s’est également dotée d’outils pour échanger hors temps des sessions organisées par Archipel Citoyen et s’est réunie de manière autonome afin d’avancer sur la rédaction du rapport qui sera remis dans le cadre de l’enquête publique.
Les recommandations soumises à l’enquête publique
Le rapport des membres de la Convention Citoyenne mentionne que l’ensemble des participantEs sont opposés au projet de la Jonction Est. Pour eux, il est indispensable de privilégier la réduction du nombre de véhicules automobiles en circulation plutôt que d’adopter de nouveaux projets d’infrastructures qui lui sont dédiées.
Ils mentionnent notamment qu “hormis le confort de circulation que procure la réduction du nombre de voitures sur la chaussée, nous y gagnerions également sur les émissions de GES, sur la pollution particulaire, sur le stress sonore, et sur l’énergie consommée.” .
Ce rapport, soumis le 16 décembre à la permanence de l’enquête publique sur la Jonction Est, précise en détails les raisons de l’opposition des membres de la Convention Citoyenne à ce projet :
- “Cet ouvrage couperait la zone verte de la plaine très fréquentée (coulée verte, poumon Toulousain) et impacterait la biodiversité (espèces protégées).
- Il favoriserait l’augmentation du nombre de véhicules en circulation et la consommation d’essence, d’où l’augmentation des pollutions (particules, CO2, NOX, bruit, stress).
- Il ne répondrait pas aux objectifs de réduction de CO2 pour les accords de Paris, objectifs 2050.
- Il ne résoudrait pas les bouchons (le périphérique est saturé aux heures de pointe et la jonction déboucherait sur des voies étroites et saturées).
- Il n’inciterait pas à la conversion des usagers vers les modalités douces
- Un gros budget serait investi qui pourrait servir à d’autres projets moins chers et plus vertueux”
Pour atteindre l’objectif de réduction du nombre de véhicules automobiles en circulation, l’assemblée de la Convention Citoyenne a formulé trois recommandations concrètes favorisant les modes de transports doux :
- en priorisant les bus et en adaptant leurs fréquences tout au long de la journée et pas seulement aux heures de pointe
- en sécurisant les traversées des échangeurs 17 et 18 pour les piétons et vélos en ajoutant une passerelle piétons/vélos à chaque échangeur
- en prévoyant des parcs relais auto et vélos surveillés le long des trajets et des terminus de bus afin d’augmenter l’intermodalité des types de transports
Retour d’expérience de la mise en place d’une Convention Citoyenne
Cette expérience, de Convention Citoyenne à taille réduite, a démontré qu’il est possible d’impliquer les habitantEs de quartier concernéEs par des projets de modification de leurs environnements (Urbanisme dans un quartier, choix de réorganisation du plan de circulation) pour prendre des décisions adaptées à leurs modes de vie tout en tenant compte des enjeux sociaux et environnementaux actuels. Le grand avantage, de prendre des décisions avec des processus de démocratie participative, est de faire beaucoup plus adhérer la population aux projets proposés.
Bien que la représentativité du tirage au sort semble cruciale techniquement, les organisatrices et organisateurs de cette Convention ont pu constater que c’est finalement le processus mis en place qui est le plus important. Le rôle des facilitatrices et facilitateurs est primordial afin de garantir que le fait que chacunE puisse se sentir libre de s’exprimer et de ne pas être d’accord avec le reste du groupe. Le choix des expertEs intervenant est aussi primordial pour fournir aux participantEs des points de vue objectifs, complémentaires et parfois opposés. Le seul regret de l’équipe d’organisation est donc que Toulouse Métropole n’ait pas accepté leur invitation afin de fournir un point de vue officiel d’un défenseur du projet de la jonction Est.